Pas si souvent que je suis enthousiasmée par un auteur au point de lire trois romans à la suite... C'est pourtant le cas avec Patrick Pécherot dont l'écriture m'a véritablement emballée. Dense, rythmée avec une gouaille et un humour des plus délicieux, c'est un véritable coup de cœur.
Les brouillards de la Butte de Patrick Pécherot aux Editions Gallimard Folio Policier (2001)
Dans le Paris de 1926, il est difficile de survivre sans un sous en poche. L’armistice de 1918 n’est pas loin, et les traces de la guerre sont encore présentes. Venu de Montpellier tenter sa chance à la capitale, Pipette en fait l’amère expérience. Laveur de bouteilles, collaborateur d’un journal à scandales, il multiplie les petits boulots. Le soir, il déclame des poèmes à Montmartre, il y croise la Goulue, André Breton et les surréalistes, les défenseurs de Sacco et Vanzetti…La nuit venue, en compagnie d’une bande d’illégalistes, il cambriole les riches pour arrondir les fins de mois. Un coup, c’est un peu d’argent, un autre quelques lingots. Mais quand un coffre-fort s’ouvre sur une macabre découverte c’est une bien sombre histoire qui commence. Ce roman à obtenu le Grand Prix de littérature policière en 2002.
Un roman policier un peu fou, une histoire déjantée, une écriture imagée et un vocabulaire très « titi parisien ». L’intrigue se déroule à Montmartre et on croit revivre cette époque tant l’atmosphère si particulière des années 20 est prégnante. Les trois voleurs sont les dignes descendants des Pieds Nickelés, on croise dans cette aventure nombre de personnages connus, entre autre André Breton qui va se mêler aux protagonistes et pour le coup, donner une coloration un peu surréaliste à l’histoire ! Un macchabé découvert dans un coffre-fort fraichement holduper va venir gâcher les beaux rêves d’argent facile de nos trois compères. Il va être question de racket, d’affaires d’Etat, de fortunes colossales construites sur le dos des pauvres bougres parti se faire trucider dans les tranchées quelques années auparavant. Les vilains bandits ne sont pas de vrais méchants et les gentils sentent un peu le pourri. Toute l’intrigue est menée tambour battant, servie par la plume de l’auteur qui manie la gouaille populaire avec un brio savoureux. C’est engagé, souvent drôle, l’intrigue est assez simple mais c’est l’atmosphère qui donne à ce récit tout le charme d’un grand roman noir.
Tranchecaille de Patrick Pécherot aux Editions Gallimard Série Noire (2008)
Chemin des Dames, 1917, l’offensive du général Nivelle tourne à l’hécatombe. Dans l’enfer des combats, un conseil de guerre s’apprête à juger le soldat Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant. Devant l’officier chargé de le défendre défilent, comme des fantômes, les témoins harassés d’un drame qui les dépasse. Coupable ? Innocent ? Jonas est-il un simulateur ou un esprit simple ? Le capitaine Duparc n’a que quelques jours pour établir la vérité. Et découvrir qui est, réellement celui que ses camarades ont surnommé Tranchecaille. Ce roman a obtenu le trophée 813 du meilleur roman noir francophone en 2009
Voila un roman superbement construit. Dans l’enfer de la guerre un homme, accusé d’avoir tué son supérieur, va être jugé et sans doute passé par les armes. Un simulacre de procès va pourtant se tenir et ce sont les témoignages et les dépositions des copains de tranchées qui vont venir sceller le destin du soldat Tranchecaille. Tout y est superbement décrit. La peur, le froid, la trahison, l’incompréhension de ceux de l’arrière, la faim, l’alcool, les déluges de feu et d’acier tombant du ciel, les gueules cassées, les marraines de guerre…tout ce qui a fait le quotidien effroyable de millions d’hommes pendant quatre années interminables. L’intrigue en elle-même n’est pas palpitante mais qu’importe, l’intérêt réel de ce roman c’est cette capacité de l’auteur à nous mettre les deux pieds dans la gadoue, nous faire greloter de froid et hérisser les cheveux sur la tête tant la misère et la terreur des situations vécues par ces poilus sont vivantes et palpables. Peut-être est-ce ma propre angoisse face à cette tuerie qui me rend si perméable à ce récit, je ne sais pas. Il est vrai que c’est une période de notre histoire qui me touche énormément.
Encore une fois Patrick Pécherot excelle à nous faire ressentir l’atmosphère et la mécanique absurde de cette guerre qui devait être la der des ders. En somme ce n’est pas tant un roman policier que nous livre l’auteur (malgré une intrigue bien présente) mais plutôt un récit magnifiquement humain, placé avec beaucoup de talent et de cœur dans l’Histoire.
Moi qui suis une grande admiratrice de Tardi, je l’imagine très bien illustrer ce roman. D’ailleurs c’est fou le nombre d’images qui me sont venues en tête à la lecture de ce livre.
Je vous conseille vivement la lecture de « Tranchecaille », c’est un véritable réquisitoire contre la bêtise et vu ce qui se passe dans le monde en ce moment, je pense qu’il est urgent de lire ce genre de roman, de s’arrêter quelques minutes, de réfléchir et de se souvenir.
L’homme à la carabine de Patrick Pécherot aux Editions Gallimard (2011)
Prison de la Santé, 1913. Les survivants de la bande à Bonnot attendent leur jugement. Ils ont vingt ans et voulaient vivre sans entraves. Communautés, insoumission, végétarisme et fausse monnaie, ils ont pris les chemins de traverse qu’emprunteront, bien plus tard, d’autre enfants de la révolte. Traqués, au terme d’une fuite en avant sanglante, ils deviendront ces bandits tragiques qui feront trembler la France. Parmi eux, André Soudy. Gamin tuberculeux, traîne-misère, poucet aux poches crevées… Qui est vraiment celui qu’on appellera « l’homme à la carabine » ? Au fil d’un roman-collage, Patrick Pécherot a suivi ses traces à demi effacées. Croisant au passage les fantômes d’Aragon, Arletty, Léo Malet, Colette, Henri Calet, Georges Brassens, Léo Ferré, Boris Vian…, il brosse l’esquisse d’un perdant magnifique.
Certain naisse avec une cuillère d’argent dans la bouche d’autre avec une poisse à toute épreuve…André Soudy fait assurément parti de ces derniers. Qui est donc cet homme à la carabine ? Celui qui tiendra en respect la foule pendant le hold-up de la banque de la Société Générale à Chantilly. Un gamin d’à peine vingt printemps benjamin de la Bande à Bonnot, arrêté, jugé et condamné à mort pour des crimes auxquels il a participé mais vraisemblablement pas commis. Un second couteau qui va vivre sa courte existence telle une trajectoire maudite à travers la misère et la maladie.
Ici Patrick Pécherot revisite l’histoire du début du XXème siècle. La lutte des classes ouvrières, l’éveil d’une conscience politique, la bataille pour la survie des exclus de toute sorte, l’exploitation des masses par un capitalisme inhumain et sans scrupule, la répression policière et l’engagement de certains marginaux dans l’anarchisme qui fit trembler le gouvernement Poincaré. Dans ce roman l’auteur fonctionne avec de nombreux flash-back, un savant collage de rapports de police, d’articles de journaux. Le tout nous donne un récit vivant toujours avec ce langage un rien canaille et tout de même un certain humour.
André Soudy qui disait « je suis comme un papier tue-mouches où le malheur viendrait se coller » fut exécuté le 23 avril 1913 à Paris. Le cou dans la lunette de la guillotine ses derniers mots ont été « Il fait froid, au revoir ».
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