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  • Photo du rédacteurMireille Eyermann

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock

Editions Albin-Michel


De l’Ohio à la Virginie-Occidentale, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 60, les destins de plusieurs personnages se mêlent et s’entrechoquent. Willard Russell, rescapé de l’enfer du Pacifique, revient au pays hanté par des visions d’horreur. Lorsque sa femme Charlotte tombe gravement malade, il est prêt à tout pour la sauver, même s’il ne doit rien épargner à son fils, Arvin. Carl et Sandy Henderson forment un couple étrange qui écume les routes et enlève de jeunes auto-stoppeurs qui connaîtront un sort funeste. Roy, un prédicateur convaincu qu’il a le pouvoir de réveiller les morts, et son acolyte Théodore, un musicien en fauteuil roulant, vont de ville en ville, fuyant la loi et leur passé.


Je cherche depuis quelques minutes l’adjectif qui conviendrait le mieux à ce roman et à la prose de Donald Ray Pollock, ils se bousculent en grand nombre dans ma tête mais celui qui ressort de tout ce fatras c’est « Somptueux ». Le genre de livre qui laisse à jamais une trace dans votre esprit car il touche aux choses essentielles…la peur, la misère, les croyances, la justice, la fatalité, la maladie, la haine, l’amour, la passion, la mort.

Les personnages sont forts, souvent déglingués et maltraités par la vie, comme ayant tirés les mauvaises cartes dans un jeu pipé dès le départ. L’amour sauvage et absolu de Willard pour sa femme, amour qui détruit tout sur son passage donne lieu à des paragraphes inouïs de force et de détresse. Lorsqu’il s’abîme dans des transes religieuses et de prières, obligeant son fils à participer à ses messes infernales, agenouillés parmi les cadavres en décomposition d’animaux sacrifiés, hurlant leurs psalmodies dans la nuit, sont parmi les textes les plus évocateurs et prenant que j’ai pu lire jusqu’à présent.

Le couple effrayant de Carl et Sandy, complètement perdu, écumant les routes, semant la mort par le sexe, le feu et le sang dans leur odyssée diabolique, le prédicateur halluciné qui finit par croire à ses propres pouvoirs au point de détruire sa famille, son acolyte handicapé, musicien raté, alcoolique et désaxé, le pasteur obsédé par les filles pubères qu’il séduit et jette comme des fétus de paille sans tenir compte des angoisses engendrées par sa conduite immorale et cruelle, le shérif malhonnête, dangereux, cupide et corrompu qui tentera d’effacer les crimes commis par sa sœur et son beau-frère...Et tant d’autres.

Tous se débattent entre le bien et le mal, tous tentent de briser un cercle infernal, tous sont complètement et irrémédiablement à la dérive. Il y en a qui ont conscience des abominations perpétrés, d'autres qui les font de manière presque naturelle. C'est singulièrement prenant et effrayant.

L'histoire se passe dans les coins les plus perdus de l’Amérique profonde. On est bien loin du rêve américain, mais malgré tout, ces personnages effarants feront naître en vous une certaine compassion, oui, même les plus sordides, simplement parce qu’ils sont décrits dans leur humanité la plus brutale et que quoi qu’ils fassent ou s’apprêtent à faire, ils sont là perdus et cent fois damnés, comme des frères de déglingue, gorgés de tous les paradoxes et de tous les péchés de la terre ne pouvant même plus espérer une quelconque rédemption. Entre les rituels délirants et les comportements homicides ces hommes et ces femmes forment une galerie cauchemardesque mais en même temps monstrueusement proches des pires aberrations auxquelles vous pouvez penser.

Chaque chapitre peut être vu comme une nouvelle, mais ils ont tous un lien entre eux, c’est fascinant cette façon de construire un récit comme une araignée tisse sa toile. Un enchevêtrement de vies et d’histoires ou les personnages se croisent et se détruisent, toujours avec une puissance d'évocation et une opulence de détails fabuleuse.

Donald Ray Pollock, dont c’est je crois le premier roman, est d’un lyrisme stupéfiant, sa plume est trempée dans la noirceur, l’ironie et le vitriol. C’est magnifique et terrible.

Il a été comparé aux plus grands noms de la littérature comme Flannery O’Connor, Jim Thompson et Cormac McCarthy, j'évite toujours de tomber dans les comparaisons dithyrambiques mais bien que Donald Ray Pollock ait véritablement une écriture tout à fait personnelle il est vrai que la puissance et la qualité de celle-ci le classe parmi les plus grands.

Il va sans dire que je vous conseille vivement la lecture de cette oeuvre bouleversante, tragique, hantée et désespérée...mais terriblement belle.

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