Sur une côte nordiste fantomatique, des hommes survivent au jour le jour, hantés par un passé mortifère. Mais qui sont ces laissés-pour-compte de notre époque, qui semblent camper dans un temps suspendu ? Des êtres qui, derrière l’apparence de normalité qu’ils essayent de préserver, ont été broyés ou souillés, à l’image du pays qu’ils habitent, marqué par les stigmates d’une industrie lourde moribonde et d’une nature qui reprend ses droits, de plus en plus inquiétante.
Pascal Dessaint a sans aucun doute un très grand sens de l’observation. Sa passion pour l’ornithologie n’est peut-être pas étrangère à ce don et cela se sent dans les descriptions qu’il fait des lieux et des hommes. Il a sans doute également suffisamment de cœur pour aimer ses personnages et les comprendre. Si tel n’était pas le cas, cet opus serait imbuvable de noirceur, hors il n’en n’est rien.
J’avais beaucoup aimé son roman sorti en 2010 « Les derniers jours d’un homme » mais celui-ci m’a touché plus en profondeur. « Le chemin s’arrêtera là » parle à votre tête bien sûr, mais surtout à votre cœur et à vos tripes. La bande-son du bouquin pourrait être « Ces gens-là » de Brel. C’est sombre et corrosif. Sombre parce qu’il s’agit d’un roman noir social d’une grande force et corrosif parce qu’il ronge les personnages et le peu d’espoir qu’il leur reste de vivre une vie meilleure.
La trame est habile et l’auteur nous mène exactement là où il le souhaite. J’ai cheminé avec lui tout le long de cette digue du Braeck non sans prendre quelques claques derrière la tête par-ci, par-là. Il y a d’abord ces descriptions du port de Dunkerque et de ses alentours qui m’ont glacé l’âme. J’ai depuis regardé un nombre incalculable de photos pour m’imprégner de ces paysages de désolation. Il y a des régions ou l’expression «ère post-industrielle » prend tout son sens. L’endroit n’est pas folichon et suffirait à donner le spleen même à un optimiste tout crin. J’ose espérer par contre que la vérité n’est pas aussi noire…
Pascal Dessaint fait de cet endroit un personnage à part entière et y installe tout son petit monde.. et là ça devient du grand art. Oui, c’est de l’art, car chaque individu est si complet, si bien décrit dans ses silences et ses retranchements, dans ses désillusions, ses souffrances, sa médiocrité et ses espoirs miteux, qu’il faut bien avouer que j’ai trouvé des qualités d’orfèvre à cet auteur. C’est précis, ciselé et le résultat est magnifique. Magnifique de désolation et de noirceur mais magnifique tout de même.
Je ne vais pas décrire chacun des personnages mais je dois dire que celui qui m’a le plus médusé c'est celui de Cyril. Ce type est un summum d’abomination. Un vrai beau répulsif. Un minable 100% pur jus, un abject de premier ordre. Celui de Wilfried est très bien aussi. Enfin bref, ils sont tous exceptionnels d’abrutissement et d’humanité dans ce qu’elle a de plus crasse. Je parle bien d’humanité parce que justement tout ceci est profondément et indubitablement humain. Certes pas le côté le plus plaisant mais celui qui ressort lorsqu’on enlève la beauté et l’espoir.
C’est un roman absolument splendide. Pascal Dessaint l’a déjà prouvé à maintes reprises, il excelle dans le roman noir social. Peut-être cette chronique met trop en avant le côté désespéré de la chose mais je dois ajouter qu’il y a aussi beaucoup de générosité dans ce roman, de l’humour aussi, mais surtout une très belle sensibilité et un cœur gros comme ça.
Avec ce roman Pascal Dessaint a remporté le Prix Amila-Meckert 2015 et ce n’est que mérité tant ce récit vous emporte au plus profond de vous-même, vous confronte à vos propres certitudes et à vos ambiguïtés. Ce n’est pas toujours ce que l’on préfère voir mais il faut savoir toucher du doigt ses vérités. Faire face aux choses permet peut-être de ne pas s’illusionner sur ce que nous sommes ou pourrions devenir. Humain vous dis-je…
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