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Photo du rédacteurMireille Eyermann

Jazz de Toni Morrison

Editions Christian Bourgeois - Collection 10/18


En 1926, le cœur de Harlem est en pleine ébullition. Le Jazz Age incarne la liberté d’une nouvelle génération de noirs américains et sème sur la ville un air de folie. Joe, en proie au délire, assassine sa jeune maîtresse devant sa femme. Dans un accès de rage, celle-ci se jette à son tour sur la défunte pour lui taillader le visage. Bouleversé par sa propre violence, le couple va chercher dans son passé les traces de son présent ravagé. De l’esclavage à l’exil, Jazz fait entendre la voie exsangue d’un démon intérieur nourri par l’oppression.



Polar ? Roman noir ? Peu importe, ce roman superbement écrit nous promène dans le temps et les lieux, dans les années 20 au cœur de Harlem un des berceaux du Jazz. Bien que n’étant pas moi-même musicienne, j’ai profondément ressenti ce roman comme un morceau de jazz, avec ses errances et ses variations, un rythme qui parfois devient syncopé, une structure narrative qui fait la part belle aux improvisations. Cette désorganisation engendre une grande spontanéité, comme si l’acte d’écriture devenait plus important que le récit. Ce livre m’a semblé d’un abord difficile, l’architecture même du roman perturbe et déroute. J’ai mis un certain temps à entrer dedans mais une fois la chose faite je me suis laissée porter par la musique des mots et des phrases de l’auteur. Les représentations sont sensuelles et vivantes, la ville décrite est aussi intense que les personnages.Toni Morrison nous présente la même histoire mais selon différents points de vue, de telle façon que les choses ne se répète jamais et bien que semblable, ont leurs propres images selon les angles d’approche.

C’est un livre sur l’amour, sur la complexité des sentiments, sur la dureté de la vie, sur les espoirs et les craintes, sur la condition des femmes et des noirs américains dans les années 20, sur la solidarité, le destin, la spiritualité, le sexe, la mort, le mensonge et une hypothétique rédemption. Malgré l’intérêt certain de l’histoire et bien que nécessaire à la progression de la lecture, celle-ci ne m’a pas semblé être le pivot de ce roman. C’est typiquement le genre de livre ou la beauté de l’écriture se suffit à elle-même. Je regrette juste de ne pas être suffisamment douée pour trouver les mots qu’il faut et partager pleinement cette expérience de lecture avec vous.

Avec ce roman, Toni Morrison poursuit le devoir de mémoire de la communauté noire-américaine. "Jazz" c’est une voix forte nourrie par l’exil et l’esclavage, la voix qui tient tête à l’oppression. Le chant de liberté venu du sud des Etats-Unis jusqu’au cloaque du Harlem des années 20. Le début des années folles, le souvenir de la Guerre de Sécession et de la Première Guerre mondiale dans la vieille Europe, la ségrégation raciale et les Lois Jim Crow tout comme celles à venir, de la prohibition flottent autour de ce récit et lui donne une atmosphère très particulière.


Vous l’aurez compris, je suis tombée sous le charme un peu vénéneux de ce roman. Je ne résiste pas à l’envie de vous en donner un court extrait :

"...je connais cette femme. Elle vivait avec une troupe d’oiseaux sur l’avenue Lenox. Connais son mari, en plus . Il est tombé pour une fille de dix-huit ans avec un de ces amours tordus, profonds, qui le rendait si triste et si heureux qu’il l’a tué juste pour garder cette sensation. Quand la femme, elle s’appelle Violette, est allée à l’enterrement pour voir la fille et lui taillader son visage mort, on l’a jetée par terre et hors de l’église. Alors elle a couru, dans toute cette neige, et quand elle est rentrée à la maison elle a sorti les oiseaux de leurs cages et les a posés derrière la fenêtre pour qu’ils gèlent ou qu’ils volent, y compris le perroquet qui disait « je t’aime »."

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