Entre Alès et Mende, au milieu des Cévennes, un lieu-dit appelé Les Doges, deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres, de grands espaces, des montagnes, des forêts, de la neige une partie de l’année, deux hommes, un chien, un fusil, quelques mots, des silences et de la roche pour poser le tout.
En voilà un exercice malaisé ! Parler de ce livre sans sombrer dans un lyrisme dithyrambique…
Je vais essayer mais ce n’est pas gagné. Pourquoi ? Et bien parce que ce livre est nécessaire.
C’est, je crois, dû à l’écriture formidablement ciselée de Franck Bouysse, cette capacité pour installer une atmosphère palpable, lourde, vraie.
L’Histoire je ne vais pas vraiment vous en parler, mais je peux tout de même vous dire qu’on se sent un peu perdu dans ces paysages rudes et magnifiques, que vous allez assister à un huis-clos au grand air (pas banal ça) entre deux hommes taciturnes et bornés. Les non-dits et les silences frustrants menés à un degré inimaginable. L’incommunicabilité poussée à un point de non-retour. L’enfermement dans lequel ces deux hommes vivent et ne se débattent même plus, tout pétri de haine, d’amour, d’insatisfaction, de tristesse et d’une certaine lassitude.
Ce roman a quelque chose d’hypnotique, c'est cruel et beau. Franck Bouysse est un conteur extraordinaire, qui prend son temps pour installer son histoire, pour faire vivre ses personnages. Tout est fluide mais terriblement pesant en même temps.
C’est le roman des vies malmenées, de la résignation silencieuse, de l’isolement avec pour seuls témoins un chien, la télé et un voisin si proche mais tellement distant. Séparé par un monde et quelques mètres. Le roman de l'amour gâché à force d'êtré ignoré, ce sentiment embarrassant trop grand pour être compris, trop fort pour être accepté. Le roman des silences et des souffrances, des rancunes qu'on préfère taire.
On y parle du travail, de l’amour, de la nature, de la mort. Il y a une humanité immense entre ces deux-là, de celle qui n’ose se parler et se dire les choses, de peur de bousculer cet équilibre hostile.
Il vaut mieux faire avec quelque chose de mauvais qu'on connait plutôt que de se risquer à ouvrir une porte sur l’inconnu. Les secrets de famille ont encore de beaux jours devant eux mais conduisent toujours, tôt ou tard, à l’effondrement de cette vie subie dans la violence des sentiments.
Des vies qu’on endure cahin-caha, parce qu’on ne sait pas bien faire autrement, parce que c’est comme ça. Mais on s’habitue à tout n’est-ce pas ?
Au milieu de tout ce fatras émotionnel il y a également de l’humour. Lorsque Gus rudoie les « suceurs de Bible » ces gens qui viennent pour vous vendre des choses dont on n’a pas besoin. Et Gus a la repartie facile et cinglante.
En bref un livre pépite sur la condition humaine. Ecrit avec un talent immense et de sacrés tripes. Comment vous dire qu’il faut absolument le lire ?
Laissez-vous emporter ! Suivez votre cœur, vos sens, votre âme. Ce roman est d’une force rare…Comment vous dire ? Essentiel.
"Grossir le ciel" vient de remporter le Prix Calibre 47.
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