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Photo du rédacteurMireille Eyermann

Empty Mile de Matthew Stokoe aux Editions Gallimard


Quand Johnny Richardson revient à Oakridge, il n’a qu’une idée en tête : réparer la terrible erreur qui l’a poussé à s’exiler de sa ville natale pendant huit ans. Mais renouer avec le passé peut être une entreprise risquée dans l’Amérique provinciale. Lorsqu’une expérience sexuelle anodine pousse au suicide la femme d’une personnalité locale, Johnny devient la cible d’une vendetta qui menace de détruire l’existence fragile qu’il s’est bâtie au cœur des anciennes collines aurifères de la Californie du Nord. En possession d’un étrange terrain légué par son père disparu sans laisser de traces, Johnny devra éclaircir ces mystères pour protéger ceux qu’il aime. Mais ses efforts auront des conséquences funestes. Il sera alors non seulement confronté à ses propres démons mais à la nature même de la culpabilité.



Troisième opus de Matthew Stokoe et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il signe là un roman d’une noirceur peu commune. Pas d’hémoglobine mais du social sordide sur fond de lâcheté, de culpabilité, d’amour aussi.

L’histoire ? Johnny Richardson, un homme incapable d’assumer sa responsabilité après l’accident qui a laissé un profond handicap à son frère Stan, disparait pendant huit ans laissant ce dernier en plan ainsi que son père et sa fiancée. Tout ce petit monde a survécu tant bien que mal à son absence, plutôt mal que bien d’ailleurs, et le retour du héros (très fatigué) va mettre à jour ou rouvrir les plaies encore à vif que sa disparition soudaine avait engendrées.

Tout ceci est bien sordide mais il y a aussi de l’amour. L’amour qui unit John à Marla, sa fiancée, ancien amour de jeunesse, complètement à la dérive, qui porte à elle seule une douleur insondable, trop grande pour elle. Un amour désespéré et désespérant tant il y a d’obstacles à surmonter, tant la vie s’est chargée de détruire cette femme plus sûrement que n’importe quelle maladie. Ici l’amour n’apportera pas une quelconque rédemption, ce sont quelques éléments de ciel bleu, d’espoir, qui très vite sont anéantis par la dureté des événements qui laminent chacun des personnages.

Il y a aussi l’amour entre Stan et Rosie, une jeune femme différente, un peu simple. Un amour pur, calme et dénué de vice. Un amour entre deux êtres maltraités par la vie et par leur handicap. Un amour absolu qui cherche à tout prix la normalité.

Et enfin l’amour pivot de cette histoire, celui qui unit les deux frères, Johnny et Stan. Un amour plus fort que tout. Un amour pétrit par la culpabilité de l’un et la candeur de l’autre. Le personnage de Stan fait bien sûr penser au Lennie de Steinbeck, la même innocence, la même sensibilité, la même violence également. Quant à Johnny, c’est l’élément désespérant de l’histoire. Il semble détruire tout ce(ceux) qui le touche(nt), sans jamais avoir totalement les cartes en main, prenant toujours et invariablement les mauvaises décisions, par méconnaissance souvent, par lâcheté toujours.

Cela donne lieu à un polar noir et désespéré mais d’une tendresse infinie. Tout est poignant ici. Le remords qui ronge Johnny, l’incapacité des personnages à exprimer leurs sentiments sans se déchirer, l’amour omniprésent mais tellement maltraité que ça en devient gênant, du sexe passionné, du sexe triste, de la perversité, des coups bas, des mensonges, des basses vengeances, le manque d’amour ou le mal-amour, les meurtres (oui, tout de même, c’est un polar), le manque d’estime de soi, l’impuissance à sauver les êtres que l’on aime… bref une véritable descente aux enfers et comme tout se déroule dans l’Amérique profonde, les signes d’espoir ne sont pas légions et la poisse semble tenir lieu de ciment à toutes ces existences.

L’intrigue est solide, l’écriture est puissante et belle. Il ne s’agit pas d’un roman au suspens indescriptible mais plutôt d’une histoire qui monte crescendo jusqu’à un final absolument dramatique.

Matthew Stokoe nous montre à quel point des gens ordinaires peuvent être le jeu de machinations diaboliques jusqu’à perdre le contrôle total des événements et de leur vie. Le plus terrible dans tout ça, c’est que les personnages ne semblent avoir d’autres alternatives que les choix les plus tragiques et ceux qui vont les précipiter dans un abîme dont il est évident qu’ils ne ressortiront pas indemnes (si tant est qu’ils en ressortent).

Un roman noir donc, qui donne l’impression quelques fois que quelqu’un prend votre cœur dans ses mains et le presse tant l’émotion est présente à chaque étape de ce récit.

Pas franchement gai, à ne pas lire un jour de grand cafard, mais franchement beau et bien écrit.

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