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  • Photo du rédacteurMireille Eyermann

Balancé dans les cordes de Jérémie Guez

Editions La Tengo


« Ma mère dit que je ressemble à mon père. Elle est tombée enceinte de lui à 17 ans. Et puis il s’est barré et elle s’est retrouvée comme une conne avec moi. « Faire un gosse avec un gitan, quelle idée de merde ! » C’est ce que mon oncle m’a répété toute ma vie.

Je n’ai pas toujours habité ici. Jusqu’à mes 11 ans, je vivais dans un petit appartement dans le 10è arrondissement de Paris. Mais ma mère a perdu son travail et n’en a plus jamais retrouvé un. Mon oncle nous a pris en charge. Déménagement derrière la Porte de la Chapelle. Puis au nord d’Auber. Toujours au milieu des blocks. Le choc. Le premier jour d’école là-bas, je suis rentré avec le nez en sang. Ma mère, abrutie par les médocs, se foutait que son fils prenne des trempes. En fait, avec le recul, je crois qu’elle ne s’en rendait même pas compte.

J’avais beau être très grand pour mon âge, je me faisais systématiquement masser les joues par la bande des sales gosses du quartier. De vrais salopards qui jouaient déjà les caïds, issus d’authentiques familles de cas sociaux : pères en prison, frères obsédés par la fixette au point de braquer le tabac du coin avec une hache, mères et sœurs dont les semaines étaient rythmées par les visites aux parloirs. La zone pour de vrai, sans sas de décompression. Tous les soirs à chialer seul dans ma chambre, jusqu’à ce que mon oncle remarque, un jour, mon visage tuméfié. Il ne dit rien à ma mère et se contente de me glisser une petite tape à la joue en me murmurant à l’oreille : « Ca va aller bonhomme ». Le lendemain, il me fait enfiler un short et des baskets ».

Tony est un jeune boxeur ; garçon sans histoires, il consacre sa vie au sport, prépare son premier combat pro et se tient à l’écart des trafics qui rythment la vie de la cité. Mais il doit composer avec une mère à problèmes, qui se laisse entretenir par des voyous. Tout dérape lorsque l’un d’entre eux la bat et l’envoie à l’hôpital. Tony décide de faire appel à Miguel, le caïd de la ville, pour étancher sa soif de vengeance. Mais dans ce milieu, rien n’est jamais gratuit. La faveur demandée à un prix, celui du sang. Tony qui doit payer sa dette, entame alors une longue descente aux enfers…



Entre ses »amis » et sa mère à la dérive Tony tente de rester clean, mais est-ce vraiment possible ? L’histoire en elle-même n’a rien d’originale mais ce qui fait sa force c’est la façon dont le sujet est traité. L’écriture de Jérémie Guez est sèche, rythmée, forte, elle colle parfaitement à l’ambiance et au récit. C’est également le portrait de la banlieue, décrite sans complaisance mais sans sombrer dans le pathos et les clichés faciles. L’auteur nous décrit ces mondes de misère et de solitude et l’image est d’autant plus forte qu’elle vient se télescoper avec celle du Paris nocturne…tout aussi pourrie mais tellement plus flamboyante. Véritable miroir aux alouettes, attirante comme une belle de nuit fatiguée, trop maquillée mais toujours pleine de promesses.

Roman noir social, histoire d’une proximité entre la banlieue et la capitale, récit d’une impossible cohabitation. Deux mondes qui se frôlent, se rencontrent mais ne peuvent se comprendre. L’impression de regarder toute cette agitation tout en sachant qu’au final chacun reviendra à sa place, celle qui correspond à sa situation sociale. Pour moi la vraie noirceur de ce roman est bien là. Certes l’histoire du jeune Tony est prenante, douloureuse mais elle vient surtout soutenir -et du coup presque démontrer - que quel que soit le moyen mis en place, l’origine et le lieu de naissance collent aux basques, plombent toutes velléités de changement et que la misère se venge durement lorsqu’un de ses enfants tente de lui échapper. Le roman aurait pu s’appeler « Mort à crédit »…,

Il y a pourtant des lueurs d’espoir, des moments qui donnent à penser que les choses ne sont pas aussi inéluctables et qu’il suffit de prendre l’une ou l’autre voie…d’un côté la résignation mais l’assurance d’évoluer dans un environnement dont les codes sont connus, de l’autre la possibilité de s’échapper, de vivre autre chose, de se rendre compte qu’une bonne fois pour toute rien n’est gravé dans le marbre. Question d’envie, de force, de détermination et de…chance. Dans les deux cas il s’agit d’un sacrifice…reste à savoir celui qui sera choisi par notre jeune héros.

Une fois encore j’ai pris le cours des choses à l’envers et j’ai commencé par le deuxième roman de cet écrivain. Le talent, la force d’écriture et de description, me donne envie de découvrir son premier opus « Paris la nuit » (dont j’ai d’ailleurs entendu dire grand bien). Donc un livre dont je vous conseille la lecture à plus d’un titre…le traitement de l’histoire, le monde de la boxe qui est incroyablement bien décrit, le côté sociologique du roman et les grandes qualités d’écriture de Jérémie Guez. Un très beau moment de lecture, un véritable plaisir de découvrir un jeune romancier avec lequel je pense il faudra compter.

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