top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurMireille Eyermann

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu aux Editions Acte Sud



Une usine qui ferme dans les Vosges, tout le monde s’en fout. Une centaine de types qui se retrouvent sur le carreau, chômage, RSA, le petit dernier qui n’ira pas en colonie cet été, un ou deux reportages au 19/20 régional et puis basta.

Sauf que les usines sont pleines de types dangereux qui n’ont plus rien à perdre. Comme Martel, le syndicaliste qui planque ses tatouages, ou Bruce, le body builder sous stéroïdes. Des types qui ont du temps et la mauvaise idée de kidnapper une fille sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux caïds qui font la pluie et le beau temps entre Epinal et Nancy. Une fille, un colt 45, la neige, à partir de là, tout s’enchaîne. Aux animaux la guerre, c’est le roman noir du déclassement, des petits Blancs qui savent désormais que leurs mômes ne feront pas mieux et qui vomissent d’un même mouvement les patrons, les arabes, les riches, les assistés, la terre entière. C’est l’histoire d’un monde qui finit. Avec une fille, un colt 48, la neige…

Un sacré bout de temps que je ne m’étais pas penchée sur mon clavier pour écrire une chronique. Pourquoi ? La flemme peut être, le manque d’envie sans doute, mais plus sûrement le sentiment de ne rien avoir à dire sur ce que j’ai pu lire depuis des mois, une difficulté à aller jusqu’au bout d’un roman parfois…enfin bref, pour être tout à fait franche, rien de ce que je m'étais mis sous la dent ne m’avais vraiment enthousiasmé depuis quelques temps.

Et là…Bing ! Mieux qu’un baiser du Prince charmant, un premier roman écrit avec talent me réveille, me fait l’effet d’une douche froide, mais ô combien salutaire, et me donne à nouveau envie de raconter mes petites histoires. C'était il y a presque trois mois maintenant, j’en ai lu bien d’autres depuis, que je chroniquerai dans la foulée, mais c’est vraiment celui-ci qui a ravivé mon désir de lecture et l'envie de partager ce plaisir. Alors, quèsaco de ce miracle ?

D’abord il donne dans le mille, le roman noir social c’est mon péché mignon. Mais cette histoire va bien au-delà de ce simple constat. Certes on comprend très vite la violence de la situation, une usine qui ferme dans une région gagnée par la sinistrose et toute la désespérance qui accompagne chaque étape de cette descente aux abimes, mais le point fort de ce roman ce sont les personnages : forts, crédibles, des vivants se débâtant dans un marasme fait de désillusions et d’amertume.

Pour autant à aucun moment l’histoire ne sombre dans la facilité ou le pathétique. C’est un premier roman très ambitieux et il aurait été assez simple de s’abimer dans le misérabilisme. C’est méconnaitre les personnages qui se battent avec l’énergie du désespoir. L’auteur a un sens de l’analyse très aigu et tout en inscrivant cette histoire dans un réalisme social implacable, il donne une humanité et une sensibilité à ses protagonistes qui les rendent attachants même dans les péripéties les plus sordides.

C’est LE roman du quotidien qui se délite, des gens ordinaires qui pour certains vont se retrouver dans des situations bien glauques. C’est le roman des petits arrangements foireux, des histoires d’amour merdiques, le roman du « pas là au bon moment », des conjonctures désastreuses.

Parmi ce qui pourrait n’être qu’un répugnant marasme il y a pourtant plein d’espoir et de vie. Une tension présente tout au long du roman, la force de ceux qui malgré des circonstances malsaines et au milieu d’un environnement pourri, se tiennent debout ou tout du moins ont encore l’énergie d’y croire. Des gens comme vous et moi, qui font avec les moyens du bord, qui ne se battent pas à armes égales, mais qui ont en eux le ressort pour faire face. Tout est toujours sur le fil, menace de rompre à tout moment…un vrai numéro d’équilibriste. C’est un roman dense, une atmosphère lourde, des personnages qui ont perdus tous leurs repères mais qui, miracle du genre humain, continuent à y croire.

Le roman des couillons de la vie…mais quelle écriture flamboyante !

Le titre à lui seul est d'une grande force et fort bien choisi ma foi.

Nicolas Mathieu a reçu en novembre 2014 le Prix Erckmann-Chatrian et le Prix Mystère de la Critique 2015 pour ce premier roman.


7 vues0 commentaire
bottom of page