Editions Baker Street
En pleine seconde guerre mondiale, Lucia Holley vit avec son vieux père et ses deux enfants adolescents au bord d’un lac, son mari étant parti se battre depuis trois ans dans le Pacifique. Mère dévouée, elle essaie de protéger sa fille d’une amourette avec un homme marié au passé louche, jusqu’au matin où elle le trouve mort dans le hangar à bateaux de la propriété. En tâchant de dissimuler le corps pour éviter tout scandale, elle va vite se retrouver prise dans les rouages infernaux de machinations criminelles impliquant maître-chanteurs, gangsters et assassins…
J’aime beaucoup l’histoire rattachée à cette romancière. Née à New York en 1889 Elisabeth Sanxay Holding débute en écriture par des romans sentimentaux, pour ensuite se tourner vers le polar après 1929 l’année du grand crash boursier. Issue de la grande bourgeoisie, avec un mari diplomate, elle est suffisamment à l’écoute de ce qui se passe autour d’elle pour opérer un virage à 180°. J’aime les gens capables de ce genre de belle remise en question.
Le sujet de son roman c’est justement la force d’impact des évènements extérieurs sur une vie bien ordonnée. Les ressources que des gens ordinaires réussissent à puiser en eux-mêmes lorsqu’ils sont confrontés à des bouleversements de vie. La capacité que tout un chacun arrive à déployer dans les périodes confuses et déstabilisantes.
Elisabeth Sanxay Holding était considérée par Raymond Chandler comme « le meilleur écrivain à suspense d’eux tous »…ce qui n’est pas un mince compliment venant de ce géant du polar. Il est vrai que l’héroïne de ce roman va affronter seule une situation à laquelle son milieu et son éducation ne l’avait pas préparé, elle va faire preuve d’une force de caractère qui va la surprendre elle-même. Elle va se retrouver complice de meurtres, va dissimuler des cadavres, mentir, sortir à des lieux de sa zone de confort, et tout cela pour protéger ses enfants, la réputation de sa famille, son père vieillissant.
D’une créature humble et sans grande envergure, les situations dangereuses et potentiellement menaçantes vont faire éclore une femme au caractère fort et prête à tout pour sauver ce qu’il reste à sauver. La dimension psychologique du personnage est admirablement bien décrite. On sent la montée du stress et de l’angoisse chez cette mère de famille sans histoires, les diverses machinations qu’elle s’impose pour gagner du temps et repousser les problèmes, sans jamais tout à fait réussir à en maîtriser le cours qui lui échappe très souvent complètement.
Son univers s’effondre et elle est seule au gouvernail d’un rafiot qui prend irrémédiablement l’eau. Colmatant les brèches et, au fur et à mesure, vidant des seaux de problèmes tout en laissant l’embarcation se remplir tel un tonneau des Danaïdes.
De femme au foyer elle va accéder à une véritable dimension d’héroïne tragique, touchante dans ses réflexions et ses décisions affolées. Elle est tour à tour submergée par l’ampleur des problèmes qui se posent à elle, pour faire preuve ensuite d’une maestria dans l’application de solutions qui sont rarement les plus simples et les plus efficaces. On se demande à chaque page jusqu’où elle va tenir, quel sera son point de rupture.
L’écriture est simple mais belle, l’auteur vous enveloppe très rapidement dans son récit et même si la trame n’est pas d’une grande originalité, elle a le mérite d’être efficace.
Au pied du mur a été publié deux fois dans la « Série Noire », en 1953 et en 1966. Cette édition bénéficie d’une traduction mise à jour et complétée par des passages qui avaient disparus dans la traduction originale.
En 1949 Max Ophuls a adapté le roman au cinéma sous le titre Les Désemparés, avec Joan Bennett et James Mason. Il a été de nouveau adapté en 2001, dans le film Bleu profond avec Tilda Swinton.
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