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  • Photo du rédacteurMireille Eyermann

Après la guerre d’Hervé Le Corre aux Editions Rivages



Bordeaux dans les années cinquante. Une ville qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre mondiale et où rôde la silhouette effrayante du commissaire Darlac, un flic pourri qui a fait son beurre pendant l’Occupation et n’a pas hésité à collaborer avec les nazis. Pourtant, déjà, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a commencé ; de jeunes appelés partent pour l’Algérie.

Daniel sait que c’est le sort qui l’attend. Il a perdu ses parents dans les camps et, recueilli par un couple, il devient apprenti mécanicien. Un jour, un inconnu vient faire réparer sa moto au garage où il travaille. L’homme n’est pas à Bordeaux par hasard. Sa présence va déclencher une onde de choc mortelle dans toute la ville, tandis qu’en Algérie d’autres crimes sont commis…

Impossible de sortir indemne de ce roman. Hervé Le Corre, écrivain au talent immense, s’est cette fois-ci surpassé. Tout est remarquable, l’histoire, les personnages, l’écriture. C’est sombre et tragique, une descente dans les ténèbres et la noirceur de l’âme humaine.

On y découvre la ville de Bordeaux sous un jour saumâtre, engluée dans son passé de collaboration et qui n’en fini pas d’expurger ses fantômes. Bordeaux ville ambiguë à la fois ouvrière et bourgeoise, cachée dans ses zones d’ombre qu’elle voudrait bien oublier et ne plus voir, coincée derrière des simulacres de bienséance. Cette ville qui n’est que le miroir de son pays, divisée entre le triomphe des victorieux et la honte des lâches.

N’espérez pas trouver un quelconque happy end, ici on est dans le réel, il n’y a pas de bons et de méchants, il n’y a pas de héros, il ne s’agit que d’hommes et de femmes profondément humain dans toute l’acceptation de ce mot, c'est-à-dire pétri de bienveillance et de courage, de cruauté et de peur. Rien de tranché, pas de noir ou de blanc, mais la palette des gris est d’une amplitude hallucinante.

C’est une fresque magnifique. Des destins croisés; des vies amochées, des vengeances larvées. J’y ai trouvé des accents célinien, non pas dans l’écriture, car Hervé Le Corre ne donne pas dans le même registre ni dans le même lyrisme, mais dans le choix et la description de ses personnages. Pas de concession, aucun besoin de fabriquer des héros ni de montrer l’exemple. Dans ce roman il y a de la pourriture, de la fatalité et toute la saloperie dont les êtres humains sont capables.

L’histoire se passe d’ailleurs dans une époque trouble, quelques années après la Seconde Guerre mondiale et pendant les « événements » d’Algérie. Rien n’a été digéré, les collabos d’hier sont aux postes clé et possèdent le pouvoir. Le mensonge est partout, seules comptent les apparences. Le commissaire Darlac, salaud ordinaire, ignoble, véreux et violent est à lui seul le reflet d’une partie de cette société d’après-guerre paralysée par les non-dits et la dissimulation. Cette duplicité touche la société elle-même, mais s’immisce également dans la vie intime, dans les maisons et les alcôves.

Tout est hypocrisie et délation. Les aînés avancent dissimulés et nagent en eaux troubles, les plus jeunes sont perdus et corrompus par cette guerre coloniale d’un autre âge. Des trajectoires chaotiques, des destins brisés, pas de rédemption, des vies à traîner avec leurs impostures et leurs fantômes.

Plane derrière tout ça l’ombre bien réelle du procès Papon, qui en son temps avait eu un retentissement médiatique formidable, aussi bien pour le personnage et sa condamnation pour complicité de crimes contre l’humanité alors qu’il était Secrétaire Général de la préfecture de la Gironde que pour la mise à jour et la compréhension globale du régime de Vichy. Sans oublier le rôle qu’il a eu en tant que Préfet de police et sa responsabilité dans la répression sanglante du 8 février 1962 (affaire de la station de métro Charonne).

Je ne vais pas vous en dire plus, il faut lire ce roman somptueux. Pour l’Histoire avec un grand « H », je n’en n’ai pas parlé mais lisez-le aussi pour les femmes de ce récit, victimes expiatoires ou femmes de mauvaises vie, brisées de toute façon, pour l’écriture splendide, organique, flamboyante et ciselée d’Hervé Le Corre, pour l’atmosphère étouffante et cette plongée, que l’on préférerait en apnée, dans la putréfaction, l’impossible oubli et la colère, peut être aussi pour comprendre l’importance de la résilience et mettre un doigt sur ses propres ambivalences.

C’est magnifique et parfois jubilatoire. Du grand Art !


« Après la guerre » a obtenu le Prix Point du Polar européen 2014.

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